Intervention USM à la Table Ronde de l'ECRI

Rédigé le 04/05/2023
USM Monaco


Le Conseil de l’Europe est une organisation de Défense des Droits de l’Homme à laquelle Monaco a adhéré en 2005. À son adhésion, Monaco a ratifié la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Aussi, depuis cette date, les arrêts du Tribunal Suprême sont susceptibles de recours devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Néanmoins, Monaco qui avait signé la Charte Sociale Européenne garantissant les droits sociaux fondamentaux, ne l’a jamais ratifiée.

L’ECRI, Commission Européenne contre le Racisme et l’Intolérance du Conseil de l’Europe effectue un travail de suivi de la situation dans chacun des États membres et formule des recommandations pour traiter les problèmes de discrimination et d’intolérance qui y sont identifiés. Une visite est organisée dans le pays concerné préalablement à l’élaboration de chaque rapport. Au cours de cette visite la délégation de l’ECRI rencontre les principaux acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux.

Cette année l’ECRI en coopération avec le Haut commissariat aux Droit de l’homme de Monaco organisait une Table ronde le 25 mars 2023 à Monaco.

L’Union des Syndicats de Monaco y était invitée à présenter une intervention.

Nous portons à votre connaissance le contenu de celle-ci prononcée par Betty TAMBUSCIO, membre de la Direction de l’USM et Ancienne Présidente.

 

INTERVENTION USM À LA TABLE RONDE DE L’ECRI - 25 AVRIL 2023                               Betty Tambuscio

I.DROIT DE CRÉER DES SYNDICATS

▶️ L’Union des Syndicats de Monaco tient à préciser de manière prioritaire combien la question du droit syndical pose problème du point de vue de l’état de droit. Votre Commission peut se féliciter que l’obligation d’une majorité de ressortissants monégasques et français au sein des instances syndicales fasse l’objet d’une révision. Nous nous en félicitons également. Il est à noter cependant que  cette révision perdure suffisamment depuis de très nombreuses années pour craindre de voir se réaliser dans les faits des retours en arrière, à un moment ou à un autre.

Cette crainte est d’autant plus avérée que ces dispositions sont assorties d’autres clauses législatives particulièrement graves à savoir, par exemple, la nécessité d’obtenir une autorisation gouvernementale pour créer un syndicat.

L’un des derniers syndicats constitués a dû attendre 8 mois pour obtenir ladite autorisation, et a dû se soumettre à de multiples injonctions en vue de mutiler son projet de statut, sans quoi l’autorisation n’aurait pu intervenir. Or, il va de soi que pendant ces 8 mois le patronat a tout loisir de faire usage de moyens de rétorsion dans la profession concernée.

Alors, on nous dira que la question est en cours de révision. Oui ! Mais pourquoi cette révision qui peut se régler en une phrase stipulant que la création d’un syndicat se fait par simple déclaration, pourquoi cette révision, officiellement engagée depuis cinq ans, prend-elle des années pour arriver à terme ? Et pourquoi marque t’elle le pas depuis un an, sinon pour s’opposer par des manoeuvres dilatoires aux dispositions constitutionnelles ?

Certes, la Constitution ne stipule pas comme c’est le cas de la Constitution française, ou luxembourgeoise, petit pays, que la création d’un syndicat se fait sans autorisation. Mais la Constitution monégasque est très claire en son article 28 : « Toute personne peut défendre les droits et intérêts de sa profession ou de sa fonction par l’action syndicale ». Autrement dit, dès que cette personne en manifeste l’intention ! Pas 8 mois après !

Au sens de l’article 97 de la Constitution, cette disposition n’est d’ailleurs plus applicable, mais demeure appliquée (!) 

  • Par ailleurs, des dispositions obsolètes, antérieures à la Constitution, font obstacle à la faculté reconnue par les instances et juridictions internationales de décider librement du règlement et de l’administration, donc du statut du syndicat.

Ce droit d’élaborer des statuts sans autorisation préalable figure à l’article 2 de la Convention sur la liberté syndicale de l’Organisation Internationale du Travail, mais Monaco qui se veut pays moderne et engagé au plan mondial au sein de l’ONU, ne tient pas compte de cette disposition.

Alors, on nous dira » Monaco n’est pas adhérent à l’OIT ». Eh bien, nous, nous disons depuis près de 80 ans :

Quand  Monaco s’honorera t-il enfin d’adhérer à l’OIT, pour faire la preuve de son exemplarité ?

En tout cas, au moins prendre en compte les dispositions de l’OIT, au moins ça, de les prendre en compte !

En outre, « défendre les droits et intérêts de sa profession » ne peut se matérialiser sans les moyens pour exercer ce droit. Or, la loi omet de fixer les libertés, heures syndicales, et protection dont les dirigeants d’un syndicat  devraient disposer pour exercer leurs fonctions. Par exemple, le Secrétaire Général du syndicat d’une branche professionnelle, est un simple syndiqué au regard de la loi. Il n’a ni droits ni moyens particuliers pour exercer ses prérogatives particulières.

  • De même, autre clause discriminatoire, une fois en inactivité pour raison de départ en retraite, seul le syndiqué qui réside à Monaco et y a travaillé pendant cinq ans a le droit de demeurer adhérent à son syndicat. Rupture d’égalité donc, et surtout interdiction pour des  milliers de salariés inactifs de se défendre, alors que les questions liées à la retraite monégasque et à la pension de retraite sont si importantes.
  • Votre Commission, déplore que le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme ne dispose pas de toute l’indépendance requise. En raison de cette carence les syndicats, syndiqués, et salariés se tournent rarement vers le Haut Commissariat le considérant, à tort, comme  lié à l’exécutif et donc, en partie dépendant de ce dernier. Il y a donc une prévention de  la  part des intéressés que nous n’arrivons pas nous mêmes, organisation syndicale, à lever.
  • Enfin, nous voudrions signaler une manifestation très récente de cette volonté d’ingérence dans la vie et le fonctionnement du syndicat, à savoir la prétention gouvernementale de contrôler les comptes et bilans de notre Organisation au prétexte que l’autorité publique nous verse une subvention (au demeurant fort modique).

J’ai là des arrêts du Comité des Libertés syndicales de l’OIT confirmant qu’il s’agit bien là d’une ingérence qui ne peut avoir lieu (cf. décisions 680 et 681).

Au vu de ces états de fait, il nous paraît donc essentiel que l’ECRI se penche à nouveau sur cette question de liberté syndicale, comme valeur au coeur des droits de l’homme.

 

II. LA PRIORITÉ NATIONALE

Il serait dommageable de considérer cette question comme faisant l’unanimité, sauf à signaler que telle qu’elle est conçue par la Constitution elle n’a jamais donné lieu à de grandes récriminations de notre part, par souci de protection d’une minorité devant l’accès à l’emploi. Il faudrait cependant s’interroger sur la volonté obsessionnelle de limiter le nombre de naturalisations, et sur le caractère sélectif du choix des naturalisés qui discriminent les salariés pour se limiter à des personnalités de la haute finance, du sport ou du spectacle.

Il convient de souligner que les non Nationaux et travailleurs, majoritaires dans le pays, et seuls créateurs de richesses, ne peuvent jouer aucun rôle dans la vie démocratique, à l’exclusion de la modeste place qu’ils occupent au sein du CESE qui demeure obstinément une Assemblée sans pouvoir, sans séances publiques, sans compte rendus publics, et donc une Assemblée seulement consultable, consultable à géométrie variable selon le bon vouloir du gouvernement, sans aucune règle de consultation. Par exemple, pas de consultation du CESE pour la loi qui vient de modifier le statut des fonctionnaires ! Une bricole !

Mais venons-en à ce qui a été conçu par la Constitution à l’égard de la priorité nationale.

art.25 « La priorité est assurée aux Monégasques pour l’accession aux emplois publics et privés dans les conditions prévues par la loi ou les conventions internationales »

3 observations :

▶️ Priorité pour l’accession aux emplois. Pas pour l’accession au logement.

Combattues en vain par le Collectif pour le Droit de Vivre à Monaco, les indignes lois, qui ont détruit le secteur à loyers protégés au lieu de le développer, ont refoulé hors de Monaco les salariés qui y avaient encore le droit d’y vivre. Ces lois font partie des heures sombres de Monaco. Elles ont laissé le champ libre à la spéculation immobilière et à toutes ses conséquences y compris au niveau environnemental, puisque tous les jours nous voyons des files de véhicules de salariés qui viennent travailler, véhicules qui rejettent allègrement dans l’atmosphère leurs déchets de gaz toxique, dans un pays qui se veut à la pointe de la défense de l’environnement.

Il y a des projets de construction de logements à Monaco, mais destinés uniquement aux Nationaux. Il n’y a pas de projets de construction de logements  pour les salariés non monégasques.

Le refus du droit d’accès au logement pour les travailleurs de Monaco, manifeste donc bien une réelle volonté d’exclusion.

▶️ Priorité pour l’accession aux emplois publics et privés. Pas réservation des emplois publics ou privés. Pas exclusivité des emplois publics ou privés.

Or, la politique laxiste à l’égard des contrats précaires sans aucune limite de  durée ou de renouvellements, donc jetables à merci, est là pour jouer le jeu de la réservation d’emplois. Elle est même là pour réserver l’exclusivité aux Nationaux comme cela vient d’être confirmé par le vote récent de la loi qui exclut des milliers d’agents de l’Etat de l’accès à la qualité de fonctionnaire, en vertu de la nationalité (à l’exception des forces de police). 3/4 des agents.

Nous voilà devant une discrimination patente, avec son cortège de conséquences, par exemple l’interdiction faite récemment au syndicat, au mépris de l’état de droit, de désigner des non fonctionnaires au sein de la Commission de la Fonction Publique.

▶️ Priorité pour  « l’accession » à l’emploi. Pas priorité devant la perte d’emploi

Or, dans le privé, lors du licenciement, la loi fait fi du principe d’égalité en vertu de l’ancienneté dans l’entreprise, pour lui substituer celui de nationalité.

Nous appelons donc votre Commission à se pencher sur l’ensemble de ces dévoiements  de la priorité nationale, telle que conçue par la Constitution .

 

III. ETAT DE DROIT ET LEGISLATION SOCIALE.

La Charte Sociale Européenne que Monaco avait signé, n’a jamais  été ratifiée.

Or, si la Convention Européenne des Droits de l’Homme, ratifiée par Monaco, se réfère aux droits civils et politiques, la Charte Sociale est le pendant de la CEDH dans le domaine des garanties des droits sociaux et économiques fondamentaux.

Il est clair que l’ensemble de la législation sociale monégasque par sa pauvreté est un déni du respect de ces droits fondamentaux.

L’essentiel du droit social protecteur ( nous parlons là du rapport qui existe entre le travailleur et l’employeur) repose sur des lois qui remontent à l’après guerre auquel il faut ajouter quelques lois d’importance comme la RTT à 39 heures, la 5ème semaine de CP, la loi contre le harcèlement, et tout récemment une loi aux effets contrastés sur la retraite complémentaire, mais guère davantage. De 1983 à 2023 les lois d’importance protégeant les salariés se comptent donc sur les doigts d’une main !

Le tableau est édifiant : licenciement individuel sans obligation de motif ni justification ; absence  d’encadrement législatif du licenciement collectif et des droits d’intervention des travailleurs en la matière ; inexistence d’une loi réglementant l’usage du contrat à durée déterminée, renouvelable à l’envie ; pratique libre et totale du recours débridé à l’intérim pourtant non reconnu par la loi régissant le contrat de travail ; contrats de travail à temps partiel sans règles de droit d’accession au temps plein ; Comité d’Hygiène et Sécurité d’un autre âge et aux prérogatives non étendues aux conditions de travail ; loi obsolète sur le Règlement Intérieur d’Entreprise, édicté unilatéralement, régissant les conditions de travail et faisant donc obstacle à la loi sur les Conventions Collectives ; droit de retrait non reconnu en cas de danger au travail ; pas de législation sur la formation professionnelle ; aucune transparence dans la lutte contre le travail non déclaré,… Donc, place à l’arbitraire et à la domination de l’employeur !

S’ajoute depuis peu à cette liste la consécration législative de la non reconnaissance statutaire pour les agents de l’Etat qui, contractuels en CDD puis en CDI se voient honteusement gratifiés de dispositions dites à « caractère statutaire », truffées d’obligations à l’égard de la hiérarchie et émaillées de quelques droits éloignés de ceux des fonctionnaires. Cette affligeante discrimination se double d’une situation discriminée à l’égard des agents publics du Centre hospitalier qui sont régis par voie statutaire et bénéficient d’un droit à titularisation non dans la fonction mais dans le poste, sans pour autant pouvoir prétendre au statut de Fonction Publique hospitalière.

Les emplois et conditions de travail précaires des agents publics entérine donc en quelque sorte au plan législatif la substitution de la notion d’Administration Publique à celle de Fonction Publique, ce pilier de l’état de droit. 

En fait, dans le privé comme dans le public, depuis 1983 le DROIT dans les rapports de travail, a fait place au NON DROIT.

Or, le NON DROIT est contraire à l’état de droit.

L’ensemble du constat permet de poser clairement la question du respect des droits  sociaux fondamentaux du salarié au XXI siècle à Monaco.